Introduction par Jan Willem Noldus
Bosch, ce marginal
A la “redécouverte” de l’artiste au vingtième siècle, plusieurs groupes tentent de le récupérer. Les Surréalistes voient en Bosch un des leurs, un peintre avide de faire entrer l’inconscient dans la création artistique. Ses tableaux seraient alors des expressions d’un rêveur éveillé, des voyages dans le pays des cauchemars. Dans la même mouvance, certains critiques interprètent l’excentricité apparente de ses oeuvres comme une preuve de folie. Une folie productive, mais une folie.
Dans les années 1960, les substances hallucinogènes séduisent nombre d’intellectuels et d’artistes qui y voient une aide extraordinaire à l’enrichissement de leur monde intérieur. Pas étonnant qu’onsuppose alors le peintre Jérôme consommateur de tels produits qui lui permettraient d’avoir des visions d’un monde resté invisible au commun des mortels.
Quelques érudits proposent une autre façon de comprendre l’énigme de l’art de Bosch. Elle serait liée à ces croyances hétérodoxes, des hérésies parfois très anciennes, en conflit avec le catholicisme dogmatique de la fin du Moyen Age. Bosch aurait été membre d’une secte secrète préconisant l’amour libre et le nudisme comme moyen d’arriver au Paradis de l’Esprit. Ses tableaux seraient pleins de symboles mystérieux que seule les initiés pourraient déchiffrer.
Toutes ces tentatives de compréhension, certes fascinantes, se caractérisent par une même approche : la prédilection romantique pour “l’artiste maudit” opposé à la société bourgeoise avec ses institutions et son orthodoxie. Selon ces approches, Bosch aurait donc été un solitaire – délibérément ou bien malgré lui – en marge du monde de son temps.
Bosch et la critique social
A l’opposé de ce courant d’interprétations, certains spécialistes considèrent Bosch comme un observateur de moeurs et coutumes de son temps, comme un fin connaisseur des dictons, proverbes, de tout ce qui exprime “le bon sens”. Son regard ne serait pas dénué d’ironie, et une grande partie de son oeuvre serait consacrée à la dénonciation du comportement de ces contemporains, notamment des puissants, des riches et du clergé.
Si on ne peut niet la dimension critique de son oeuvre, il serait cependant dommage de l’y réduire. L’admiration entretenue pour l’artiste de Bois-le-Duc par certains puissants, comme le roi d’Espagne, révèle bien la présence d’autres enjeux.
Bosch et en perspective
Sans rejeter ces différentes approches, il semble nécessaire d’examiner de plus près le peintre et l’hommeJérôme Bosch, d’appréhender son monde – sa vie de famille, sa formation intellectuelle et artististique, ses relations sociales – et sa vie au sein de la société de Bois-le-Duc autour de 1500.
Nos trois conférences tenteront de présenter les réseaux dans lesquels Bosch a évolué, ses modèles d’inspiration, son travail dans l’atelier qu’il partageait sans doute. Via l’analyse minutieuse de plusieurs oeuvres du peintre (entre autre Le Jardin des délices, Le Char de foin, La Nef des fous, La Tentation de saint Antoine), nous apprécierons la vision du monde de Bosch, sa santé mentale, sa profondeur spirituelle et morale. Nous verrons enfin comment il s’est avéré être une source d’inspiration pour de nombreux artistes des générations à venir grâce à la cohérence de sa pensée (visuelle) et sa profonde sensibilité à la beauté du monde, même dans une époque troublée par les conflits. Peut-être constaterons-nous que Bosch a surtout sondé la nature humaine et que son oeuvre n’est pas plus énigmatique que celle-ci. Que ces tableaux ne sont pas tant des labyrinthes que des miriors qui réflètent son monde, et le nôtre …